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Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T2.djvu/349

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ce voyage que George Sand a faite dans ses Lettre d’un Voyageur, les détails en sont trop connus pour que nous les transcrivions, mais nous ne pouvons nous priver du plaisir de donner ici la page de la dixième Lettre, où George Sand parle à son tour de l’improvisation de Liszt sur l’orgue de Fribourg.

« Nous entrâmes dans l’église de Saint-Nicolas pour entendre le plus bel orgue qui ait été fait jusqu’ici. Arabella, habituée aux sublimes réalisations, âme immense, insatiable, impérieuse envers Dieu et les hommes, s’assit fièrement sur le bord de la balustrade, et, promenant sur la nef inférieure son regard mélancoliquement contemplateur, attendit, et attendit en vain, ces voix célestes qui vibrent dans son sein, mais que nulle voix humaine, nul instrument sorti de nos mains mortelles ne peut faire résonner à son oreille. Ses grands cheveux blonds, déroulés par la pluie, tombaient sur sa main blanche ; et son œil, où l’azur des cieux réfléchit sa plus belle nuance, interrogeait la puissance de la créature dans chaque son émané du vaste instrument. « Ce n’est pas ce que j’attendais », me dit-elle d’un air simple et sans songer à l’ambition de sa parole… »

Et pendant ce temps-là le jeune organiste robuste, en voulant faire valoir toutes les qualités du célèbre orgue et se conformant aux désirs de son maître, le vieux Mooser, qui avait la manie de vouloir créer dans ses instruments des registres imitant le bruit de l’orage, — ce gaillard solide et vermeil, disons-nous, se déchaînait sur le clavier en reproduisant une tempête avec éclairs et tonnerre, pluie et vent, « clochettes de vaches perdues, fracas de la foudre, craquement des sapins, — finale, dévastation des pommes de terre »… Tout cela ne produisit sur l’auditoire que l’effet le plus baroque et ne leur fit nullement apprécier le mer-