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Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T2.djvu/44

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les écoute avec attention, et même à des indifférents. » Et ainsi, tous les proches, tous les amis de Musset devaient éternellement prendre la plus vive part à la vie d’Alfred, l’écouter, partager ses joies et ses chagrins ; il se distinguait, par la faculté de suggérer à son entourage ses sentiments et ses pensées, il l’hypnotisait. « C’étaient des agitations, des inquiétudes, des émotions perpétuelles, — dit le frère du poète, — un besoin incessant de confidences, de conversations expansives, soit avec son oncle Desherbiers, soit avec son frère. Il nous retenait au coin du feu, et nous ne pouvions pas plus nous en arracher, qu’il ne pouvait se résoudre à nous laisser partir. Dans ces moments de fièvre, il fallait s’inquiéter avec lui, se désoler, s’attendrir, s’indigner tour à tour ! Cet exercice violent, ces mouvements extrêmes d’une âme singulièrement active et sensible, devenaient parfois une fatigue pour son entourage ; mais à cette fatigue se mêlait un charme inexprimable. La passion et l’exagération sont contagieuses. On était entraîné malgré soi ; on se tourmentait, on s’exaltait ; on y revenait comme à un excès dont on ne peut plus se passer pour s’exalter et se tourmenter encore. Qui me rendra cette vie agitée et ces heures de délicieuses souffrances[1] ?… »

Cette âme étrange et passionnée n’avait rencontré sur sa route que de jolies poupées mondaines, en admiration devant le sel de ses épigrammes, de son vif esprit dans les charades, de ses vers aussi, mais surtout en voyant son adresse à la danse et la coupe de ses fracs et de ses redingotes. Ces élégantissimes et précieuses créatures que Musset admira sincèrement toute sa vie, comme il aurait admiré une poupée de Sèvres ou un vase vénitien,

  1. Paul de Musset. Biographie d’Alf. de Musset, p. 366.