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Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T2.djvu/75

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. Elle ne cesse de faire des démarches pour mettre ses comptes en ordre et payer ses dettes. Elle expédie même d’avance ses conditions pour le cas où Dupuy consentirait à faire un contrat. MM. Plauchut et Ulbach assurent que la famille de Musset n’ignorait pas alors et n’ignore pas aujourd’hui cet épisode — chose d’autant plus honteuse, que plus tard le frère du poète ne se gêna nullement pour propager sur George Sand les plus vilaines calomnies. Quoi qu’il en soit, cette « pédante » qui écrivait sans relâche pendant des nuits entières, et cette « bonne ménagère, qui dressait ses comptes chaque soir », sauva l’insouciant poète[1]. Par là elle avait dû contracter une nouvelle dette envers Buloz et travailler deux ou trois fois plus qu’elle ne l’avait fait auparavant. Un peu plus tard, le 16 mars, elle écrit à son frère Hippolyte Châtiron : « L’amour du travail sauve de tout. Je bénis ma grand’mère qui m’a forcée d’en prendre l’habitude. Cette habitude est devenue une faculté et cette faculté, un besoin. J’en suis arrivée à travailler, sans être malade, treize heures de suite, mais en moyenne, sept ou huit heures par jour, bonne ou mauvaise soit la besogne. Le travail me rapporte beaucoup d’argent et me prend beaucoup de temps, que j’emploierais, si je n’avais rien à faire, à avoir le spleen, auquel me porte mon tempérament bilieux. Si, comme toi, je n’avais pas envie d’écrire, je voudrais du moins lire beaucoup. Je regrette

  1. Maxime Ducamp, dans ses intéressants Souvenirs littéraires, raconte une conversation qu’il a eue avec George Sand en 1868. Elle lui disait entre autres choses que son ambition était de « posséder 3 000 livres de rente ? Je fis un bond : « Comment, vous, George Sand, vous ne les avez pas ? » Elle répondit : « Non, j’ai gagné beaucoup, beaucoup d’argent, je l’ai dépensé ; j’en aurais gagné davantage, je l’aurais dépensé de même. » Elle eut alors un sourire mâle, où l’orgueil de la domination exercée, le sentiment d’une supériorité acceptée, se mêlaient à une expression de mépris, dont la cause n’était pas difficile à deviner : elle ajouta : « Je ne regrette rien ! » Ce fut un éclair…