Page:Kerigant - Les Chouans - Épisodes des guerres de l’Ouest dans les Côtes-du-Nord, 1882.djvu/149

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

je suis entré en sortant de Saint-Cyr, M. Rubin de La Grimaudière ; Le Nepvou de Carfort, et Rolland, dit Justice. Ils restèrent tous les trois, avec beaucoup d’autres, quatorze ou quinze ans captifs au château d’Iff[sic], à Marseille. On les croyait morts, lorsque le retour de la Monarchie les rendit à la liberté[1].

  1. En 1814, je fus témoin de l’arrivée de Carfort chez mon père. Je vivrais mille ans, il me serait impossible d’oublier jamais la scène qui se passa sous mes yeux. Ma mère était en très grande toilette pour faire des visites, ce qui lui arrivait très rarement ; ce détail avait attiré mon attention. Elle se trouvait dans le vestibule et se disposait à sortir. On venait d’ouvrir la porte de la rue, lorsque, sur le seuil, se présenta un homme d’une haute taille, au teint basané comme celui d’un créole, et vêtu d’une façon étrange. Ma mère, après l’avoir fixé, s’écria, en levant les bras :
    — Mais, c’est vous, Carfort !
    — Eh, oui ! Élisabeth, c’est bien moi.
    Il manquait de tout, hélas ! et il trouvait ma famille bien dénuée aussi. Mais la joie de se revoir fut si grande que la causerie, à table, se prolongea bien avant dans la nuit. Pour moi je m’endormis au récit de leurs souvenirs, et le lendemain le vieux chef, qui m’avait à peine aperçu, m’embrassa joyeusement.
    Il en fut de même d’Olivier Rolland, Justice, comme on l’appelait communément ; seulement, il écrivit à l’avance. Cet homme héroïque, cet ancien marchand de bestiaux fut l’abnégation incarnée jusqu’à sa dernière heure ; elle fut tout à fait digne de son passé.
    En effet, Justice est mort vers 1856 ou 7, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans. Se trouvant dans une des rues de Dinan, au moment où un taureau furieux, échappé de l’abattoir, renversait tout sur son passage et menaçait d’occasionner de graves accidents, Olivier Rolland, sans consulter son âge ni ses forces, s’élança au-devant