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Page:Koschwitz - Les Parlers Parisiens, 1896.pdf/74

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Journal intime.

Il l’avait commencé, ce journal intime, à quinze ans, au Lycée, les jours de révolte intérieure contre une punition injuste, contre la brutalité des ‘grands’, contre l’ennui, l’épouvantable ennui qui parfois le poursuivait dans les récréations comme pendant les cours; il l’avaiti continué ensuite pendant les années laborieuses et sans plaisirs, où, tout en donnant des leçons pour gagner son pain, il se préparait à prendre ses grades; puis plus tard, dans cette petite ville de province où depuis plus de dix ans il enseignait la philosophie. Peu à peu, c’était devenu une habitude tyrannique, un besoin, comme des soins de properté. Et cette habitude avait doublé sa vie, donné un sens aux moindres événements qu’il traversait, aiguisé sa connaissance de soi-même, de telle sorte que rien d’imprévu ne pouvait sortir de son cœur ni de son cerveau. C’est à ce journal intime qu’il devait d’être devenu un homme terriblement conscient, impuissant à agir sans avoir prévu toutes les suites de son acet, et pourtant, sitôt l’acte accompli, se torturant l’esprit à calculer ce qui pouvait encore en sortir; incapable d’abandon et d’élan, quels qu’ils fussent; malheureux dans la plus large acception du mot, et malheureux sans malheur,