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Page:Koschwitz - Les Parlers Parisiens, 1896.pdf/76

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toujours, comme on souffre d’une consomption qu’on sent à peine. C’était, ce journal, son vice et sa maladie. Il le savait; et il l’aimait et le haïssait en même temps, comme les buveurs leur absinthe, comme les fumeurs leur opium. Cent fois, son journal l’avait empêché de suivre une impulsion qui aurait changé son existence, et qu’il regrettait ensuite amèrement de n’avoir pas suivie. Cent fois, exaspéré contre ce tyran, il avait résolu de le détruire: et au lieu de cela, il y ajoutaiti une page nouvelle, il s’y expliquait à lui-même pourquoi il n’exécutait pas sa résolution, et il le relisait, au hasard, sûr de tomber en l’ouvrant n’importe où sur un fragment qu’il éprouvait un âpre plaisir à relire. Et c’était lui tout entier, non seulement dans les faits relatés au jour le jour, mais avec tous les sentiments furtifs qu’il avait éprouvés, toutes les opinions contradictoires qu’il avait professées, tous les goûts successifs qu’il s’était connus: il ne lisait pas un livre, bon ou mauvais, roman contemporain ou tragédei classique; il n’entendait pas un morceau de musique dans un concert ou dans un salon; il ne voyait pas un tableau, un paysage nouveau, une ville inconnue, sans noter aussitôt son impression ou son jugement. Son journal était donc un autre lui, un lui complet, avec toutes les nuances changeantes de son être fixées de page en page, un lui qui offrait au regard toutes ses contradictions et tous ses avatars. Hélas! il s’y montrait tour à tour sceptique