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Page:Kouprine - Le Bracelet de grenats, 1922.djvu/300

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mélancoliques. Un vent suffocant soufflait du rivage.

— Un incendie ? — demandai-je mollement, comme en songe, et je me retournai vers le sud. Le sommet du Cayambé disparaissait dans une épaisse fumée où flamboyaient de rapides éclairs.

— Non, mais une éruption de notre bon vieux volcan. L’explosion de soleil liquide l’a réveillé, lui aussi. Quelle force tout de même ! Et dire que la voilà perdue !

Je ne comprenais plus rien. Ma tête tournait. Et j’entendis à mes côtés une voix étrange, douce comme celle d’une mère, impérieuse comme celle d’un despote :

— Asseyez-vous sur ce cabestan et exécutez aveuglément ce que je vais vous ordonner. Enfilez immédiatement cette ceinture de sauvetage, nouez-vous-la solidement sous l’aisselle de manière à ce qu’elle ne gêne pas la respiration ; mettez dans votre poche de côté ce flacon de cognac et ces trois tablettes de chocolat ; prenez cette enveloppe de parchemin contenant de l’argent et des lettres. Dans quelques instants, le Gonzales va être culbuté par un effroyable raz de marée tel que le monde n’en a sans doute jamais vu depuis le déluge. Couchez-vous à tribord. C’est cela. Agrippez-vous des pieds et des mains au bastingage. Parfait. Votre tête est protégée par le blindage : cela vous empêchera d’être assourdi par le coup. Quand vous sentirez la lame se précipiter sur le pont, tâchez de retenir votre respiration pendant une vingtaine de secondes, puis jetez-vous à droite… et que Dieu vous bénisse ! C’est tout ce que je puis vous souhaiter et recommander. Cependant, s’il est écrit que vous deviez périr si jeune et d’une mort si absurde… je voudrais vous entendre me dire auparavant