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Page:Kropotkine — Paroles d'un Révolté.djvu/292

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telle que nous la montrent les historiens. Vous croyez entendre le paysan se plaindre de la gabelle, de la dîme, des redevances féodales, et vouer dans son cœur une haine implacable au seigneur, au moine, à l’accapareur, à l’intendant. Il vous semble voir les bourgeois se plaindre d’avoir perdu leurs libertés municipales et accabler le roi sous le poids de leurs malédictions. Vous entendez le peuple blâmer la reine, se révolter au récit de ce que font les ministres, et se dire à chaque instant que les impôts sont intolérables et les redevances exorbitantes, que les récoltes sont mauvaises et l’hiver trop rigoureux, que les vivres sont trop chers et les accapareurs trop voraces, que les avocats de village dévorent la moisson du paysan, et que le garde champêtre veut jouer au roitelet, que la poste même est mal organisée et les employés trop paresseux… Bref, rien ne marche, tous se plaignent. « Cela ne peut plus durer, ça finira mal ! » se dit-on de tous les côtés.

Mais, de ces raisonnements paisibles à l’insurrection, à la révolte, — il y a tout un abîme, celui qui sépare, chez la plus grande partie de l’humanité, le raisonnement de l’acte, la pensée de la volonté, du besoin d’agir. Comment donc cet abîme a-t-il été franchi ? Comment ces hommes qui, hier encore, se plaignaient tout tranquillement de leur sort, en fumant leurs pipes, et qui, un moment après, saluaient humblement ce même garde champêtre et ce gendarme dont ils venaient de dire du mal, — comment, quelques jours plus tard, ces mêmes hommes ont-ils pu saisir leurs faulx et leurs bâtons ferrés, et sont-ils allés attaquer dans son château le seigneur, hier encore si terrible ? Par quel enchantement, ces hommes que leurs