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Page:Kropotkine — Paroles d'un Révolté.djvu/54

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ensuite à la seconde ; j’admets que vous avez reçu une éducation scientifique. Supposons que vous allez devenir… médecin.

Demain, un homme en blouse viendra vous chercher pour voir une malade. Il vous mènera dans une de ces ruelles où les voisines se touchent presque la main par-dessus la tête du passant ; vous montez dans un air corrompu, à la lumière vacillante d’un lampion, deux, trois, quatre, cinq escaliers couverts d’une crasse glissante, et dans une chambre sombre et froide vous trouvez la malade, couchée sur un grabat, recouverte de sales haillons. Des enfants pâles, livides, grelottant sous leurs guenilles, vous regardent de leurs yeux grand ouverts. Le mari a travaillé toute sa vie des douze et treize heures à n’importe quel labeur : maintenant il chôme depuis trois mois. Le chômage n’est pas rare dans son métier : il se répète périodiquement toutes les années ; mais autrefois, quand il chômait, la femme allait travailler comme journalière… laver vos chemises, peut-être, en gagnant trente sous par jour ; mais la voilà alitée depuis deux mois, et la misère se dresse hideuse devant la famille.

Que conseillerez-vous à la malade, monsieur le docteur ? vous qui avez deviné que la cause de la maladie est l’anémie générale, le manque de bonne nourriture, le manque d’air ? Un bon bifteck chaque jour, un peu de mouvement à l’air libre, une chambre sèche et bien aérée ? Quelle ironie ! Si elle le pouvait, elle l’aurait déjà fait sans attendre vos conseils !

Si vous avez le cœur bon, la parole franche, le regard honnête, la famille vous contera bien des choses. Elle vous dira que de l’autre côté de la cloison,