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Page:Kropotkine — Paroles d'un Révolté.djvu/88

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Au temps jadis, s’il y avait guerre, on savait, au moins, pourquoi on se faisait tuer. — « Tel roi a offensé le nôtre, — égorgeons donc ses sujets ! » Tel empereur veut enlever au nôtre des provinces ? — mourons donc pour les conserver à Sa Très Chrétienne Majesté ! » On se battait pour des rivalités de rois. C’était bête, aussi les rois ne pouvaient-ils enrôler pour une pareille cause que quelques milliers d’hommes. Mais pourquoi, diable, des peuples entiers vont-ils se ruer aujourd’hui les uns sur les autres ?

Les rois ne comptent plus dans les questions de guerre. Victoria ne se formalise pas des insultes qu’on lui prodigue en France : pour la venger les Anglais ne bougeront pas, et cependant, pouvez-vous affirmer que d’ici à deux ans, Français et Anglais ne s’entre-égorgeront pas pour la suprématie en Égypte ? — De même en Orient. Si autocrate et si méchant despote qu’il soit, si grand personnage qu’il s’imagine, l’Alexandre de toutes les Russies avalera toutes les insolences d’Andrassy et de Salisbury sans bouger de sa tanière de Gatchina, tant que les financiers de Pétersbourg et les fabricants de Moscou, — ce sont eux qui s’appellent aujourd’hui les « patriotes », ne lui auront pas intimé l’ordre de mettre en branle ses armées.

C’est qu’en Russie, comme en Angleterre, en Allemagne comme en France, on ne se bat plus pour le bon plaisir des rois ; on se bat pour l’intégrité des revenus et l’accroissement des richesses de messieurs les Très Puissants Rothschild, Schneider, compagnie d’Anzin, pour l’engraissement des barons de la haute finance et de l’industrie.