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Page:Kropotkine - L Entraide un facteur de l evolution, traduction Breal, Hachette 1906.djvu/100

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d’une forteresse qui, après avoir vécu pendant plusieurs mois à demi-ration, sort de cette épreuve avec une santé ruinée, présentant dans la suite une mortalité tout à fait anormale. Tout ce que la sélection naturelle peut faire pendant les époques de calamités est d’épargner les individus doués de la plus grande endurance pour des privations de toutes sortes. Il en est ainsi des chevaux et des bestiaux sibériens. Ils sont endurants ; ils peuvent se nourrir de bouleau polaire en cas de nécessité ; ils résistent au froid et à la faim. Mais un cheval sibérien ne peut porter la moitié du poids qu’un cheval européen porte facilement ; une vache sibérienne ne donne pas la moitié du lait donné par une vache de Jersey, et les indigènes des pays non civilisés ne sauraient être comparés aux Européens. Ils supportent mieux la faim et le froid, mais leur force physique est très au-dessous de celle d’un Européen bien nourri, et leurs progrès intellectuels sont désespérément lents. « Le mal ne peut produire le bien », comme l’a très bien dit Tchernychevsky dans un remarquable essai sur le Darwinisme[1].

Fort heureusement la compétition n’est pas la règle dans le monde animal ni dans l’humanité. Elle est limitée chez les animaux à des périodes exceptionnelles, et la sélection naturelle trouve de bien meilleures occasions pour opérer. Des conditions meilleures sont créées par l’élimination de la concurrence au moyen de l’entr’aide et du soutien mutuel[2]. Dans la grande lutte

  1. Russkaya Mysl, sept. 1888 : « La théorie du bienfait de la lutte pour la vie, préface à différents traités sur la botanique, la zoologie et la vie humaine », par Un Vieux Transformiste.
  2. « Un des modes d’action les plus fréquents de la sélection naturelle est l’adaptation de quelques individus d’une espèce donnée à une façon de vivre un peu différente, ce qui les rend capables d’occuper une nouvelle place dans la nature » (Origin of Species, p. 145) — en d’autres termes, éviter la concurrence.