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Page:Kropotkine - L Entraide un facteur de l evolution, traduction Breal, Hachette 1906.djvu/133

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l’ignorance et non la cruauté qui maintient l’infanticide ; et au lieu de moraliser les sauvages par des sermons, les missionnaires feraient mieux de suivre l’exemple de Veniaminoff, qui, chaque année, jusqu’à un âge très avancé, traversait la mer d’Okhotsk dans un mauvais bateau, ou voyageait traîné par des chiens parmi ses Tchuktchis, les approvisionnant de pain et d’instruments de pêche. Il arriva ainsi — je le tiens de lui-même — à supprimer complètement l’infanticide.

Les mêmes remarques s’appliquent à l’usage que les observateurs superficiels décrivent comme parricide. Nous avons vu tout à l’heure que la coutume d’abandonner les vieillards n’est pas aussi répandue que l’ont prétendu quelques écrivains. On a énormément exagéré cet usage, mais on rencontre l’abandon des vieillards occasionnellement chez presque tous les sauvages ; et en ce cas il a la même origine que l’abandon des enfants. Quand un « sauvage » sent qu’il est un fardeau pour sa tribu ; quand chaque matin sa part de nourriture est autant de moins pour la bouche des enfants qui ne sont pas aussi stoïques que leurs pères et crient lorsqu’ils ont faim ; quand chaque jour il faut qu’il soit porté le long du rivage pierreux ou à travers la forêt vierge sur les épaules de gens plus jeunes (point de voitures de malades, point d’indigents pour les rouler en pays sauvage), il commence à répéter ce que les vieux paysans russes disent encore aujourd’hui : Tchoujôï vek zaiedàïou, porà na pokoï ! (je vis la vie des autres : il est temps de me retirer). Et il se retire. Il fait comme le soldat en un cas semblable. Quand le salut de son bataillon dépend de la marche en avant, que lui ne peut plus avancer, et qu’il sait qu’il mourra s’il reste en arrière, le soldat prie son meilleur ami de lui rendre un dernier service avant de quitter le campement. Et l’ami d’une main tremblante décharge