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Page:Kropotkine - L Entraide un facteur de l evolution, traduction Breal, Hachette 1906.djvu/135

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lieu d’essayer d’expliquer l’existence parallèle de deux séries de faits : à savoir une haute moralité dans la tribu, en même temps que l’abandon des parents et l’infanticide. Mais si ces mêmes Européens avaient à dire à un sauvage que des gens, extrêmement aimables, aimant tendrement leurs enfants, et si impressionnables qu’ils pleurent lorsqu’ils voient une infortune simulée sur la scène, vivent en Europe à quelques pas de taudis où des enfants meurent littéralement de faim, le sauvage à son tour ne les comprendrait pas. Je me rappelle combien j’ai essayé en vain de faire comprendre à mes amis Toungouses notre civilisation individualiste ; ils n’y arrivaient pas, et ils avaient recours aux suppositions les plus fantastiques. Le fait est qu’un sauvage, élevé dans les idées de solidarité de la tribu, — pour le bien comme pour le mal, — est incapable de comprendre un Européen « moral », qui ne connaît rien de cette solidarité, tout comme la plupart des Européens sont incapables de comprendre le sauvage. Mais si un de nos savants avait vécu quelque temps avec une tribu à demi affamée qui souvent ne possède pas seulement la nourriture d’un seul homme pour les huit jours suivants, il aurait probablement compris les mobiles des sauvages. De même si le sauvage avait séjourné parmi nous et avait reçu notre éducation, peut-être comprendrait-il notre indifférence européenne envers nos voisins, et nos commissions parlementaires pour empêcher l’extermination des enfants mis en nourrice. « Les maisons de pierre font les cœurs de pierre », disent les paysans russes. Il faudrait d’abord faire vivre le sauvage dans une maison de pierre.

Les mêmes remarques s’appliquent au cannibalisme. Si nous tenons compte des faits qui ont été mis en lumière pendant une récente discussion sur ce sujet à la