Page:Kropotkine - La Conquête du pain.djvu/148

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comme tous les hommes ne peuvent pas et ne doivent pas se ressembler (la variété des goûts et des besoins, est la principale garantie du progrès de l’humanité), il y aura toujours, et il est désirable qu’il y ait toujours, des hommes et des femmes dont les besoins seront au-dessus de la moyenne dans une direction quelconque.

Tout le monde ne peut pas avoir besoin d’un télescope ; car, lors même que l’instruction serait générale, il y a des personnes qui préfèrent les études microscopiques à celles du ciel étoilé. Il y en a qui aiment les statues, et d’autres les toiles des maîtres ; tel individu n’a d’autre ambition que celle de posséder un excellent piano, tandis que l’autre se contente d’une guimbarde. Le paysan décore sa chambre avec une image d’Épinal, et si son goût se développait, il voudrait avoir une belle gravure. Aujourd’hui, celui qui a des besoins artistiques ne peut les satisfaire, à moins de se trouver héritier d’une grande fortune ; mais en « travaillant ferme » et en s’appropriant un capital intellectuel qui lui permettra de prendre une profession libérale, toujours a-t-il l’espoir de satisfaire un jour plus ou moins ses goûts. Aussi reproche-t-on d’ordinaire à nos sociétés communistes idéales d’avoir pour unique objectif la vie matérielle de chaque individu : « Vous aurez peut-être le pain pour tous, nous dit-on, mais vous n’aurez pas dans vos magasins communaux de belles peintures, des instruments d’optique, des meubles de luxe, des parures, — bref, ces mille choses qui servent à satisfaire la variété infinie des goûts humains. — Et vous supprimez, par cela même, toute possibilité de se procurer quoi que ce soit en dehors du pain et de la viande que la Commune peut offrir à tous, et de la toile grise dont vous allez vêtir toutes vos citoyennes. »