Page:Kropotkine - La Conquête du pain.djvu/287

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’État. Si l’État le rançonne modestement, le prêteur d’argent, qui l’asservit au moyen de billets à ordre, en fait bientôt le simple tenancier d’un sol appartenant en réalité à une compagnie financière.

Le propriétaire, l’État et le banquier dévalisent donc le cultivateur, par la rente, l’impôt et l’intérêt. La somme en varie dans chaque pays ; mais jamais elle ne tombe au-dessous du quart, très souvent de la moitié du produit brut. En France, l’agriculture paie à l’État 44 pour cent du produit brut.

Il y a plus. La part du propriétaire et celle de l’État vont toujours croissant. Sitôt que, par des prodiges de labeur, d’invention ou d’initiative, le cultivateur a obtenu de plus fortes récoltes, le tribut qu’il devra au propriétaire, à l’État où au banquier augmentera en proportion. S’il double le nombre d’hectolitres récoltés sur l’hectare la rente doublera et par conséquent les impôts, que l’État s’empressera d’élever encore si les prix montent. Et ainsi de suite. Bref, partout le cultivateur du sol travaille 12 à 16 heure par jour ; partout ses trois vautours lui enlèvent tout ce qu’il pourrait mettre de côté ; partout ils le dépouillent de ce qui pourrait améliorer sa culture. Voilà pourquoi l’agriculture reste stationnaire.

Ce sera seulement en des conditions tout à fait exceptionnelles, par suite d’une querelle entre les trois vampires, par un effort d’intelligence ou par un surcroît de travail qu’il parviendra à faire un pas en avant. Et encore nous n’avons rien dit du tribut que chaque cultivateur paie à l’industriel. Chaque machine, chaque bêche, chaque tonneau d’engrais chimique lui est vendu trois ou quatre fois ce qu’ils coûtent. N’oublions pas non plus l’intermédiaire, qui prélève la part du lion sur les produits du sol.