Page:Kropotkine - La Grande Révolution.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tion des paysans, il serait faux de conclure que les autres historiens (comme Tocqueville, par exemple), qui parlent d’amélioration des conditions dans les campagnes, dans ces mêmes années précédant la Révolution, ne soient pas dans le vrai. Le fait est qu’un double phénomène s’accomplissait alors dans les villages : l’appauvrissement en masse des paysans et l’amélioration du sort de quelques-uns d’entre eux. On le voit très bien aujourd’hui, en Russie, depuis l’abolition du servage.

La masse des paysans s’appauvrissait. D’année en année, leur existence devenait de plus en plus incertaine ; la moindre sécheresse engendrait la disette et la famine. Mais une classe nouvelle, de paysans un peu plus aisés et ambitieux, se constituait en même temps — surtout là où la décomposition des fortunes nobiliaires s’était accomplie plus rapidement. Le bourgeois du village, le campagnard embourgeoisé faisait son apparition, et c’est lui qui, aux approches de la Révolution, fut le premier à parler contre les droits féodaux et à en demander l’abolition. Ce fut lui qui, pendant les quatre ou cinq années que dura la Révolution, exigea avec ténacité l’abolition des droits féodaux sans rachat, — c’est-à-dire la confiscation des biens et le morcellement des biens confisqués. Ce fut lui, enfin, qui s’acharna le plus, en 1793, contre les « ci-devant », les ex-nobles, les ex-seigneurs.

Pour le moment, aux approches de la Révolution, c’est avec lui, ce paysan, devenu notable dans son village, que l’espoir entra dans les cœurs et que mûrit l’esprit de révolte.

Les traces de ce réveil sont évidentes, car depuis