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Page:Léo Taxil - Les trois cocus.pdf/14

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LES TROIS COCUS

le gras du mollet… Impossible de me débarrasser de tous ces animaux-là… Je crie : au secours !… La maison se réveille… On me jette des seaux d’eau sur la tête, sous prétesque de calmer les chiens, qui z’hurlaient de plus fort en plus fort… Enfin, Agathe, qui avait pris le temps de passer une jupe, se glisse le long des murs jusqu’à la porte d’entrée, l’ouvre toute grande, et cette émeute enragée se décide à sortir de chez nous…

— C’était encore une farce de ces maudits étudiants…

— Comme vous le dites, chère madame… À la poignée de la sonnette, il y avait une lettre pendue.

— Vous l’avez lue, cette lettre ?

— Agathe s’en empara et la rapporta dans la loge… Nous allumons la bougie, pendant que les locataires se recouchent en nous injuriant… et alors nous lisons cette lettre infernale… Voici ce qu’elle disait : « Recette pour amuser un portier : Prendre à minuit sur le pavé une chienne errante, après s’être assuré qu’elle est sous l’influence des ardeurs du printemps ; la promener en la tenant en laisse pendant deux heures, dans la rue Mouffetard ou toute autre rue fréquentée par l’espèce canine ; une fois que la demoiselle a récolté à sa suite une trentaine de galants, faire ouvrir la première porte venue et introduire la meute dans la cour ; refermer la porte et laisser le portier se distraire en compagnie de ces camarades inattendus. »

— C’est abominable, monsieur Orifice !

— D’autant plus abominable que cela était signé : Sapeck… Sapeck, chère madame, un scélérat qui est le fléau du quartier latin…

— Ne m’en parlez pas… Il m’en a déjà fait voir de toutes les couleurs…

— Oh ! si jamais je le tiens seul à seul, dans un coin, il apprendra ce qu’il en coûte de troubler ainsi la nuit paisible d’un concierge comme moi.

— Et vous ferez bien !… Cet être là est un monstre !…

— Pis que cela, chère madame, c’est un journalisse.

Et là-dessus, le père Orifice réintégra son domicile en jurant comme un charretier.

De fait, le concierge du 47 n’avait pas tort d’être en fureur. La farce du mauvais plaisant qu’il avait désigné sous le nom de Sapeck était d’un goût détestable. La meute de chiens qui avait été introduite à deux heures du matin dans sa cour, grâce à l’effet des ardeurs printanières d’une phryné canine, lui avait littéralement coupé son sommeil, et, quand il s’était rendormi, au point du jour, entre