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Page:Léo Taxil - Les trois cocus.pdf/229

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LES TROIS COCUS

étaient tous des héros ; rien ne pouvait les faire faiblir : aucune privation ne réussissait à leur faire arborer le honteux drap de lit de la capitulation.

La famine était impuissante.

Le bombardement était obligé de s’avouer vaincu.

Cependant, à la tête de l’armée assiégeante, était un rude-à-poil qui, depuis sept ans, disait tous les matins, en se faisant la barbe : « Tonnerre de Brest ! cela ne peut pas durer comme ça ! Ces Noisy-le-Secquois me la font à l’oseille. »

Kroutt-de-Pâté (c’était le nom du pirate redoutable) avait des intelligences dans la place.

Grâce à un Espagnol complaisant, — il y a des Espagnols complaisants partout, — il entretenait des relations criminelles avec la femme d’un des notables gardes nationaux de la ville assiégée.

Une guérite d’octroi, située au creux d’un vallon, servait de rendez-vous aux deux amoureux pendant la journée et les nuits d’armistice.

Un soir, Kroutt-de-Pâté apporta à celle dont il était aimé, un petit paquet soigneusement ficelé et lui dit :

— « Héliotrope, si vous êtes capable de dévouement pour moi, ce soir, vous ferez à votre époux une soupe avec le contenu de ce paquet. »

Héliotrope baissa les yeux, soupira, embrassa le pirate, et promit.

Et le soir, notre cocu, qui devait être de faction sur les remparts, mangea une abondante soupe aux haricots ; non pas une soupe aux haricots ordinaires, mais de ces haricots ronges, à quadruple détonation, dont les effets sont terribles et les ravages plus célèbres que ceux du feu grégeois.

Tout avait été ingénieusement combiné.

Les pirates devaient profiter du moment où le factionnaire aux haricots se tordrait dans les convulsions d’une colique atroce pour escalader te rempart dont il avait la surveillance.

De plus, la criminelle Héliotrope avait eu la perfidie de faire prendre à son mari avant son dîner deux verres d’Amer-Picon, et, grâce à l’appétit irrésistible qu’engendre toujours cette bienfaisante liqueur, notre cocu s’était littéralement bourré de haricots.

Mais on avait compté sans le courage de notre héros, qui, surmontant ses douleurs, était encore à son poste, accroupi derrière un créneau, au moment où le féroce Kroutt-de-Pâté calculait qu’il devait, être dans des lieux plus reculés.

À minuit un quart, les pirates commencèrent l’escalade.

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