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Page:Léon Daudet – Le Monde des images.djvu/115

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LE DÉRÈGLEMENT DES PERSONIMAGES.

gine, nous constituant ainsi une sorte de mémoire ancestrale ou seconde, qui peut atteindre, dans les cas exceptionnels, cent cinquante, deux cents ans et davantage. Toute altération qualitative d’une figure intérieure altère, bien entendu, ces vestiges et fait d’eux des écharpes, flottantes, au gré de notre rêve éveillé.

On sait que certains penseurs éprouvent le besoin de situer leur pensée. Elle ne leur paraît prendre de consistance et ramifier, en se diversifiant et en se compliquant, que si elle est mentalement placée dans tel endroit, dans tel éclairage, à la façon d’une statue ou d’une fontaine dans un jardin. Ces élections singulières sont très sensibles chez la plupart des poètes lyriques. Ils ne sont jamais plus pénétrants, ni plus enchanteurs, ils ne donnent jamais mieux l’illusion divine que lors de ces transes visuelles et auditives, qui transportent La Fontaine dans une cour de ferme en plein midi, ou à l’orée d’un bois, Hugo sur l’étendue marine, une plaine ou un coteau, au soir tombant, et Verlaine dans un jardin à la française, « où vont chantant masques et bergamasques. » Si l’on admet que le don lyrique est le renforcement continuel des images, directement perçues ou personnelles, par les images héréditaires, on voit les conséquences qui en résultent, quant à la genèse renforcée de ces sites de prédilection. C’est ainsi que, dans la Mireille de Mistral, où se mêlent si harmonieusement le lyrique et l’épique, comme le lierre serpente autour d’un torse