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Page:Léon Daudet – Le Monde des images.djvu/119

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MÉMOIRE ET DESIR.

ainsi discerner deux courants. Ils sont très sensibles chez un poète tel que Baudelaire, par exemple, où ils se recouvrent, s’emmêlent, puis se séparent, comme deux tresses de couleur et de parfum différents, dans la chevelure de sa malabaraise. L’instinct génésique, suscitant les sensations lointaines issues de la race, est ce qu’il y a chez lui de plus évocateur, de plus magicien. La sentimentalité, fille de la mémoire individuelle, que règle le soi, y est presque nulle, alors que chez un Lamartine, au contraire, elle est à la source de l’élan lyrique. Vous reconnaîtrez les évocations de la mémoire héréditaire, à quelque chose de profond et de nostalgique, qui apparaît entre les mots, plus que dans les mots, dans la pause respiratoire du vers, plus que dans son mouvement rythmique ; comme si une ombre au contour éclairé se tenait derrière une autre ombre crue, et la prolongeait d’une sorte de lumière diffuse. Pour des raisons que nous examinerons plus tard, quand il sera question du langage, il est d’ailleurs très difficile d’exprimer ces choses à l’aide de mots ; attendu qu’elles résident entre les mots, au moment où le jet du style se concentre avant de s’élancer de l’esprit dans le verbe, et de s’y éparpiller en vocables.

Supposons le fils de parents et petit-fils de grands-parents nés aux Iles, sous le climat des tropiques, y ayant vécu, y ayant enregistré toutes les sensations de chaleur, de parfum, de volupté que l’on peut imaginer, ainsi que ces mystérieuses