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Page:Léon Daudet – Le Monde des images.djvu/169

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LE MOT ET CE QU’IL ÉVOQUE.

de ceux qui l’environnent et désormais sont prêts à le suivre et à lui obéir. Le mot juste et fort crée la confiance, éteint la critique et le doute. Il va frapper ses auditeurs au même point de la genèse verbale, qui est entre les deux mémoires, l’ancestrale et l’individuelle, et les stimule avec une même intensité. Les actes qui bouleversent le monde sont toujours sortis d’un mot-commandement, d’un maître-mot, comme ceux qui ordonnent les batailles. Mais il peut être écrit, ce mot, dans la fièvre de l’improvisation et de la réflexion, sur une table d’imprimerie, par un homme inconnu ou méconnu, et n’agir qu’après de longues années, qu’après avoir éveillé, par son appel, des milliers et des milliers de formules vivantes et de dévouements obscurs.

Par contre, de combien de malheurs politiques, sociaux, individuels, un mot faux, hypocrite, mensonger ne peut il pas être l’origine ? Chaque fois que j’aperçois, en cherchant un livre dans ma bibliothèque, le Contrat social de Rousseau, je le considère avec quelque terreur sacrée, ainsi qu’une éponge pleine de sang innocent et je me demande : « A-t-il fini d’en faire couler ? A-t-il épuisé sa nocivité ?  »

Le mot, parlé ou écrit, est susceptible de déchaîner des passions violentes et de provoquer des échanges organiques, par action ou par réaction. L’action verbale est plus immédiate et plus intense, mais privée de prolongation. L’action écrite ou