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Page:Léon Daudet – Le Monde des images.djvu/201

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LA CONCEPTION CRÉATRICE.

Daudet ajoutait que, dès cet instant, en un coup d’œil, il avait aperçu tout son livre, y compris la scène saisissante des vieilles grues de Ville-d’Avray, et la montée de l’escalier par le jeune amoureux, portant sa maîtresse pâmée dans ses bras. Voilà un témoignage direct !

Je n’ai malheureusement pas reçu les confidences de Cervantès, mais je sais ceci : quand vous fermez Don Quichotte, que voyez-vous ? Le grand maigre et le petit gras, assis au revers d’un fossé, Rossinante et l’ânon pas très loin, devisant, au milieu de la lande espagnole, au jour tombant, sous un ciel doré. — Pourquoi au jour tombant ? C’est arbitraire. — Parce que le jour tombant, dans les pays méridionaux, est une heure très favorable à la conception littéraire, qu’il ne faut pas confondre avec la composition littéraire. La composition, c’est l’art, c’est le talent. Le génie est dans la conception initiale, comme l’enivrant parfum de la rose, la volupté de sa chair glissante, le foisonnement léger de ses pétales courbes sont dans son bouton. Il y a un vertige particulier dans le jour tombant (que sentent vivement les héméralopes), un vertige vraisemblablement lié à une évocation intense des personimages, tellement intense qu’il en devient contagieux.

On sait que Balzac, qui voyait gros, et souvent juste, comparait la création littéraire à l’autre, notamment pour la dépense physique, l’espèce d’abattement consécutif. Il parlait surtout du labeur