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Page:Léon Daudet – Le Monde des images.djvu/77

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Voici un exemple singulier, et qui éclaire un point demeuré obscur dans les traités spéciaux : J’ai connu un cocaïnomane, sédentaire, fils d’explorateur, qui, vers l’extrémité de sa déchéance, parvenu au stade hallucinatoire, voyait à ses côtés un tigre, toujours le même, dans une forêt qu’il décrivait avec pittoresque. Or, il était âgé de trois ans quand il avait perdu son père, et jamais sa mère ne l’avait entretenu (ajoutait-il à ses moments lucides) de ces explorations, qu’elle avait toujours eues en horreur. Il semble donc bien qu’il s’agissait, en ce cas, d’une personimage paternelle arrêtée et fixée par le poison, jusqu’à devenir une obsession. J’ai cité ce cas dans La Lutte, écrite en 1907, alors que je n’avais pas encore mis au point mes études sur la reviviscence en nous des grandes figures héréditaires, et sur leur morcellement en fragments d’images, ou en images d’images, c’est-à-dire en mots.

Une des filles du pasteur Bronté, Emily, a écrit un livre, Les Hauteurs battues par le vent, où la biographie psychologique de son frère alcoolique, et en proie aux hallucinations violentes, tient une grande place. C’est un ouvrage significatif, en ce sens que l’auteur lui-même témoigne d’une connaissance, en quelque façon congénitale, des abîmes du cœur humain. Cette vierge décrit la passion sensuelle avec une ardeur et une acuité inégalées. Les Withering hights constituent un étonnant témoignage d’hérédo, quant au dérèglement toxique des figures intérieures.