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Page:Léon Daudet – Le Monde des images.djvu/98

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L’intuition vraie est un phénomène plus rare et plus compliqué. Je la définirai un état intellectuel émotif tel que la réalité et son ambiance, l’une et l’autre secrètes ou cachées, y sont senties, perçues, analysées, partiellement ou complètement, de façon en quelque sorte machinale. Certains ont, en pénétrant dans un cercle de quatre ou cinq personnes, le sentiment très net de la sympathie ou de l’antipathie, de l’adhésion ou de la résistance, avant qu’une de ces personnes ait ouvert la bouche. D’autres entendent, à travers le silence, ce que l’on pense à leur sujet. D’autres devinent, même dans la solitude, que quelque projet se trame à leur endroit, dans telle ou telle direction, dans tel ou tel milieu. Beaucoup de personnes avaient le pressentiment de la guerre européenne avant le mois d’août 1914 et l’ultimatum de l’Autriche à la Serbie. L’intuition vraie n’est d’ailleurs ni constante, ni universelle. Elle peut cesser, reprendre, s’élargir, se rétrécir, s’annihiler même ou errer pendant une longue période, et celui qui se fie à elle est sujet à mécomptes et à erreurs. C’est la faculté lunatique par excellence. Les sages la corroboreront toujours par l’observation. Il lui arrivera néanmoins d’inspirer une décision soudaine et heureuse, qui changera la face d’une situation compromise et la redressera.

Quelques êtres privilégiés possèdent à la fois l’intuition et l’observation et se reposent de l’une par l’autre. J’ai remarqué que ce double don est