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Page:Léon Daudet – Le stupide XIXe siècle.djvu/103

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L’ABERRATION ROMANTIQUE

bossus retors, bien entendu. La fluidité magique de sa langue (où palpite la douceur, la suavité bretonne, du pays où la pluie ne mouille pas) a fait illusion, pendant longtemps, sur l’inconsistance de ses vues en balancé. C’est la pensée des Danaïdes, qui fuit à mesure qu’elle se remplit. Cette prière perpétuelle à Saint Décevant donne, à la longue, des courbatures. L’Avenir de la Science nous montre, dans Renan, un gobeur éperdu de tout ce qui se présente sous le signe du rationnel. Il ne songe pas que ce signe peut abriter des bourdes beaucoup plus saisissantes encore que le signe du surnaturel, et que le terre à terre n’est pas une garantie. Cela, c’est l’air des années où il a vécu, cet air confiné, empuanté de miasmes démocratiques et évolutionnistes, et qui rappelle cette atmosphère de fromage de gruyère, qu’un personnage de Courteline, se trompant de fenêtre, prend pour la première atmosphère du printemps. C’est l’air de la correspondance avec Berthelot, raréfié, pneumatique, étouffant.

D’où vient qu’on relit sans cesse Montaigne et qu’on ne relit pas, ou presque pas, Renan ? C’est que Montaigne pratique le doute dans l’espace à n dimensions, et que Renan ne le pratique que sur un seul point, qui est celui du dogme catholique. Le champ visuel du premier est illimité comme la nuit stellaire. Celui du second est étrangement circonscrit. De même l’ironie renanienne, souvent délicieuse (et telle que d’un éléphant qui ferait des finesses et de la calligraphie avec sa trompe), est