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Page:Léon Daudet – Le stupide XIXe siècle.djvu/141

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L’ABERRATION ROMANTIQUE

précédents, reculent, s’effarent et fuient les écrivains, tremblants et frémissants, du XIXe siècle. Cet abatage de l’originalité et de la vigueur du style, auquel se sont évertués vainement les grammairiens des âges précédents, un vieil organisme, l’Académie française, un organe plus récent la Revue des Deux Mondes (prépondérante, pendant quarante ans, par l’habileté commerciale de son fondateur Buloz) vont tenter de le réaliser.

D’une façon générale, on doit constater que ce XIXe siècle, si content et si fier de soi, et si fertile en agitations sociales de toutes sortes et en guerres exhaustives, a marqué, en France, dans le domaine littéraire, une diminution parallèle de l’intensité imaginative et d’observation (conception) ainsi que de l’expressivité du style. J’appelle intensité imaginative cette coulée de perspectives en profondeur que l’on remarque (pour prendre deux modèles fort éloignés l’un de l’autre) dans les Essais de Montaigne et dans Candide. Rien de semblable au XIXe siècle, où le rapport de Ravaisson par exemple (qui est peut-être le meilleur aperçu des vues générales des cent dernières années, paru chez nous) témoigne encore d’une étrange timidité et d’un besoin de juste milieu, qui réfrène l’esprit créateur. À imagination guindée, observation courte et tenue en lisière, aussi bien quant à l’introspection, presque totalement abandonnée (les pensées de Joubert sont d’une qualité fort inférieure aux maximes d’un La Rochefoucauld par exemple) que dans l’observation courante de la vie extérieure.