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Page:Léon Daudet – Le stupide XIXe siècle.djvu/144

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LE STUPIDE XIXe SIÈCLE.

De 1850 à 1900, trois poètes de premier rang ont été ignorés ou bafoués de la façon la plus odieuse, la plus révoltante : Baudelaire, Verlaine et Moréas. Dans la même période, un romancier génial a passé au milieu de l’indifférence, ou de la risée des ignorants de la fausse élite : Barbey d’Aurevilly. Car, en dehors de la plèbe de badauds, incessamment renouvelée, qui court le long des bibliothèques, en éparpillant ses éloges et ses blâmes au hasard, il y a, au XIXe siècle, un rassemblement de demi-lecteurs, pourvus d’une demi-instruction, arrivant pleins de vanité à la demi-connaissance, qui se jettent et tombent dans tous les traquenards de la réclame, de la falsification et de la mystification. Ce troupeau, qui se croit une sélection, parce qu’il se compare à la foule, et maître de ses préférences, alors que celles-ci lui sont imposées par ses journaux, va naturellement à ce qui lui ressemble, c’est-à-dire au superficiel, à l’affecté et à l’outrecuidant. C’est lui qui déclare que Baudelaire est entortillé et confus ; Verlaine un simple pochard, et Moréas un pédant grec. C’est lui qui se pâme aux Poèmes barbares de Leconte de Lisle, ou chose pire, aux luisants et vides Trophées de Hérédia, plus tard aux hideux exercices mécaniques d’Henri de Régnier, lesquels sont à la poésie véritable, ce que le pianola est à la musique et la gymnastique rationnelle aux mouvements naturels de l’être humain. C’est lui qui s’ébahit à la Tentation de Saint Antoine, aux contes rudimentaires et brutaux de Maupassant, à la Princesse