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Page:Léon Daudet – Le stupide XIXe siècle.djvu/146

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LE STUPIDE XIXe SIÈCLE.

en colère ». Puis, après des années et des années, son éducation baudelairienne ayant été faite, peu à peu, par une foule de sous-adapteurs et d’imitateurs, ou de plagiaires et vulgarisateurs du génial auteur des Fleurs du Mal et des Paradis artificiels, le troupeau de la demi-instruction courut s’abreuver en foule à ce qu’il avait dédaigné, bafoué pendant quarante ans. On dit, en ce cas, que l’âge reconnaît tardivement son erreur. Mais vous pouvez être sûr que, dans le même moment, il en commet une autre du même calibre.

Qu’il s’agisse de peinture (Goya, Manet), de musique (Tannhauser, Beethoven), de gravure (Méryon), du sens de la rectification historique ou littéraire (Edgar Poe, Quincey), de linguistique et de style (Mon cœur mis à nu), d’analyse intellectuelle et sentimentale, le génie pénétrant, vibrant, dru, chaud et sûr de Baudelaire provoquait autour de lui une sorte de crainte. Il apparaissait à ses contemporains, saturés de sottise, comme inclassable, comme morbide. D’où sa fureur aigre et son affectation de morbidité : « Ah ! vous croyez que j’ai la rougeole ! Eh bien, je vais m’en peindre les boutons sur la peau ! » Et il les peignait ! L’Eautontimoroumenos, le bourreau de soi-même, ce fut Baudelaire. Mais quel goût, quelles nuances dans l’appréciation, et quelle force dans le départ, l’élan, le démarrage ! Son envol rappelle celui de Ronsard…

La servante au grand cœur, dont vous étiez jalouse…
Ô mort, vieux capitaine, il est temps, levons l’ancre…