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Page:Léon Daudet – Le stupide XIXe siècle.djvu/149

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L’ABERRATION ROMANTIQUE

non seulement de l’écriture en couleurs, gladiolée, précise et enflammée comme la foudre, du grand écrivain spontané, et même soudain, qu’a méconnu son siècle ignorant ; mais aussi des dessins, fantaisies, échappées de plume et pâtés d’encre de ce feu d’artifice de prose et de vers, à quoi rien ne peut être comparé. Joie de l’esprit et du regard ! Il fallait le dévouement unique de Mlle Read à cette haute et étincelante mémoire, pour imaginer une telle survivance, qui nous rend la palpitation même du génie et nous renseigne sur la genèse de certaines œuvres et mains projets inachevés. Nous regretterons toujours cet An mil et ce roman sur la chouannerie, le Gentilhomme de grand chemin, que n’eut pas le loisir d’écrire le vieux chouan à la pensée altière, le géant perdu parmi les nains de plume, qui riaient de la coupe de son habit ou de sa solitude grandiose.

La méconnaissance de Barbey d’Aurevilly est, ainsi, un des exemples les plus saisissants de la stupidité du siècle, dit « des lumières », en matière littéraire et critique.

Nous avons vu que cette stupidité repose solidement, compactement, sur un certain nombre d’aphorismes genevois, allemands, encyclopédiques, protestants, romantiques, et toujours primaires, bien que reliés à des noms fameux. Barbey d’Aurevilly (chez qui le critique égale, en maint endroit, le romancier) possédait parfaitement cette vérité ; c’est ce qui explique sa solitude volontaire, hautaine, résignée, en même temps que le silence,