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Page:Léon Daudet – Le stupide XIXe siècle.djvu/229

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AFFAISSEMENT DE LA FAMILLE ET DES MŒURS.

dant ces cent trente ans, de même qu’il parait déplacé de rire au milieu d’un drame de famille, ou d’une chambre mortuaire. Puis, quand les hommes ne s’entretuaient pas pour l’assouvissement de leurs marottes, ils continuaient, pendant cette période, à se détester et à se combattre sourdement, dans de poussiéreuses querelles, où leurs travers et leurs vices perdaient du pittoresque par le pédantisme. Le grand ennemi du rire, c’est le cuistre. Il a sévi sous le premier Empire comme jamais. Bonaparte (voir le Mémorial) est un cuistre. Il est le pet de loup de Bellone. Après la défaite de 1870, il fut généralement admis que c’était le cuistre allemand qui avait vaincu les armées françaises ; et pendant cinquante ans, nos compatriotes, Sorbonne en tête, s’encuistrèrent de la plus déplaisante — et plaisante — façon. L’excrément Zola, par exemple, prétendit être un excrément sérieux : « Je n’ai pas d’esprit », répétait-il.

C’est ainsi qu’un voile grisâtre, marqué çà et là de larges taches rouges, semble jeté sur le XIXe siècle français. Chacun y prétend enseigner son voisin. Chacun éprouverait quelque honte à le divertir. La moquerie discrédite celui qui l’emploie ; et les anti-blasphémateurs eux-mêmes, Veuillot par exemple, n’usent que du fouet, jamais de l’épingle, dont les blessures peuvent être cependant les plus cruelles et les plus malaisées à panser. Le romantisme (se sentant vulnérable par la satire et la simple gaîté) bannit le comique, soit directement comme ennemi du peuple, soit indirectement, en lui substituant le jeu de mots, ou la fausse farce, plus lugubre encore que