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POÉSIE.

SONNETS.


Je n’aime plus Paris depuis que ma maîtresse
En a fui le séjour et m’a repris son cœur :
Tandis qu’elle m’oublie ou rit de ma détresse,
Le sort m’impose ici son souvenir vainqueur.

Malgré mes maux amers, contre elle sans rancœur
Ainsi que sans refuge, hélas ! ma main ne tresse
Que couronnes qui vont au front de la traîtresse,
Et pour d’autres beautés réserve un trait moqueur.

Eh bien ! puisqu’à son nom, en dépit de moi-même,
Se refuse ma bouche à jeter le blasphème,
Que maudirai-je donc pour tromper mes ennuis ?

Tout ! et d’abord ces fleurs que la brise ranime,
Et ma lyre impuissante, et mes jours, et mes nuits,
Et surtout l’espérance où l’amour s’envenime.


Lorsqu’aux bois anuités sonnent de Philomèle
Les hymnes printaniers du silence advenus ;
Au souffle frais des soirs lorsque le rosier mêle
Son encens d’Aphrodite, baleine de Vénus,

Nul ne dit à la fleur de l’aurore jumelle :
Retiens jusqu’à demain tes parfums ingénus ;
Ne dit à son amant qu’il attende comme elle,
Pour prodiguer ses dons, qu’ils ne soient méconnus.

Qu’avez-vous fait pourtant, lorsqu’à vos pieds, madame,
Je vins, chants et parfums, verser toute mon âme ?
Enfant, m’avez-vous dit, il n’est pas encor temps.

Soit ! Mais l’amour aussi passe et n’attend personne :
Comme le rossignol et la rose, il nous donne
Des instans à saisir aux heures du printemps.

LE COMTE DE GRAMONT.

AU LECTEUR.[1]

Le glaneur que l’aube réveille
Le cœur plein d’espoir et de chants,
Part, certain de trouver aux champs
Une gerbe lourde et vermeille.

Fier de rapporter au logis
L’abondance avec l’allégresse,
Sans choix d’abord comme il s’empresse
De glaner les moindres épis !

Le soir, près du ruisseau dans l’herbe
Il dépose son doux trésor,
Et, triant les beaux épis d’or,
D’eux seuls il compose sa gerbe.

Qui dit poëte dit glaneur :
Pour grossir sa gerbe sonore,
Le poëte aux champs suit l’aurore.
Cueillant l’épine avec la fleur.

Puis le soir tombe, et le poëte,
Entouré de rameaux flétris,
En tresse les plus verts débris
D’une main, hélas ! inquiète.

N. MARTIN.

À UNE INDIENNE.


Tes pieds sont aussi fins que tes mains, et ta hanche
Est large à faire envie à la plus fière blanche ;
À l’artiste pensif ton corps est doux et cher,
Tes grands yeux indiens sont plus noirs que ta chair.
Aux climats chauds et bleus où ton Dieu t’a fait naître,
Ta tâche est d’allumer la pipe de ton maître,
De pourvoir les flacons d’eaux fraîches et d’odeurs,
Et de chasser du lit les moustiques rôdeurs,
Et, dès que le matin fait chanter les platanes,
D’acheter au bazar ananas et bananes.
Tout le jour où tu veux tu mènes tes pieds nus,
Et fredonnes tout bas de doux airs inconnus ;
Et, quand descend le soir au manteau d’écarlate,
Tu poses doucement ton corps sur une natte,
Où tes rêves flottans sont pleins de colibris,
Et toujours comme toi gracieux et fleuris.

Pourquoi, l’heureuse enfant, veux-tu voir notre France,
Ce pays trop peuplé que fauche la souffrance,
Et, confiant ta vie aux bras forts des marins,
Faire de grands adieux à tes chers tamarins ?
Toi, vêtue à moitié de mousselines frêles,
Frissonnante là-bas sous la neige et les grêles,
Que tu regretterais tes loisirs doux et francs,
Si, le corset brutal emprisonnant tes flancs,
Il te fallait glaner ton souper dans nos fanges,
Et vendre le parfum de tes charmes étranges,
L’œil errant et suivant dans nos vastes brouillards
Des cocotiers natifs les fantômes épars !

Amour de l’inconnu, jus de l’antique pomme,
Vieille perdition de la femme et de l’homme,
Ô curiosité, toujours tu leur feras
Déserter, comme font les oiseaux, ces ingrats,
Pour un lointain mirage et des cieux moins prospères
Le toit qu’ont parfumé les cercueils de leurs pères.

PIERRE DE FAYIS.

  1. Ces vers servent de préface aux poésies complètes de M. N. Martin qui seront mises en vente ces jours-ci chez Jules Renouard.