Page:La Boétie - Discours de la servitude volontaire.djvu/69

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tant abâtardis que ne puissions reconnaître nos biens ni semblablement nos naïves affections, il faudra que je vous fasse l’honneur qui vous appartient, et que je monte, par manière de dire, les bêtes brutes en chaire, pour vous enseigner votre nature et condition. Les bêtes, ce maid’ Dieu ! si les hommes ne font trop les sourds, leur crient : Vive liberté ! Plusieurs en y a d’entre elles qui meurent aussitôt qu’elles sont prises : comme le poisson quitte la vie aussitôt que l’eau, pareillement celles-là quittent la lumière et ne veulent point survivre à leur naturelle franchise. Si les animaux avaient entre eux quelques prééminences, ils feraient de celles-là leur noblesse. Les autres, des plus grandes jusqu’aux plus petites, lorsqu’on les prend, font si grande résistance d’ongles, de cornes, de bec et de pieds, qu’elles déclarent assez combien elles tiennent cher ce qu’elles perdent ; puis, étant prises, elles nous donnent tant de signes apparents de la connaissance qu’elles ont de leur malheur, qu’il est bel à voir que ce leur est plus languir que vivre, et qu’elles continuent leur vie plus pour plaindre leur aise perdue que pour se plaire en servitude. Que veut dire autre chose l’éléphant qui, s’étant défendu jusqu’à n’en pouvoir plus, n’y voyant plus d’ordre, étant sur le point d’être pris, il enfonce ses mâchoires et