Aller au contenu

Page:La Foire Saint Laurent.pdf/75

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
CARLINETTE.
RONDEAU

A peine je m’élance
Hors de la diligence,
Le flot des voyageurs
M’éloigne de mes sœurs.
C’est en vain que j’appelle
Clotilde ! dame Angèle !
J’ai beau crier leur nom,
Personne ne répond !
Me voilà bien perdue
Au milieu de la rue,
Mon paquet à la main,
Ignorant mon chemin.
Vous dire mon histoire,
C’est à ne pas y croire !
J’avais dans les romans
Lu des récits navrants,
Jamais, qu’il m’en souvienne,
Douleur comme la mienne !
A fouler les pavés
Mes pieds se sont usés !
Mes souliers, dame Angèle,
N’avaient plus de semelle,
Mes os, ô Curtius,
Mes os étaient rompus !
Quand, épreuve dernière,
Comble de la misère,
Supplice horrible, enfin,
J’ai souffert de la faim !…
Oui ! solitaire et morne
Sur le coin d’un borne,
J’ai calmé cette faim
Avec deux sous de pain !…
Et la nuit, me disais-je,
Avec son noir cortége
Elle va s’avancer…
Où vais-je la passer ?…
Tout à coup, ô prodige !
Est-ce un rêve, un prestige ?
Des ombres… des clameurs…
Mes sœurs ! ce sont mes sœurs !
Ainsi que moi perdues,
Elles couraient les rues.
Nous nous reconnaissons