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Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 2.djvu/123

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DEUXIESME PARTIE.

Du Gascon la peur se saisit ;
Il devient aussi froid que glace,
N’oseroit tousser ny cracher,
Beaucoup moins encor s’approcher ;
Se fait petit, se serre, au bord se va nicher,
Et ne tient que moitié de la rive occupée :
Je crois qu’on l’auroit mis dans un fourreau d’épée.
Son coucheur cette nuit se retourna cent fois,
Et jusques sur le nez luy porta certains doigts
Que la peur luy fit trouver rudes.
Le pis de ses inquietudes,
C’est qu’il craignoit qu’enfin un caprice amoureux
Ne prist à ce mary : tels cas sont dangereux,
Lors que l’un des conjoints se sent privé du somme.
Toûjours nouveaux sujets alarmoient le pauvre homme :
L’on étendoit un pied, l’on approchoit un bras ;
Il crût mesme sentir la barbe d’Eurilas.
Mais voicy quelque chose à mon sens de terrible.
Une sonnette estoit prés du chevet du lit :
Eurilas de sonner, et faire un bruit horrible.
Le Gascon se pâme à ce bruit
Cette fois-là se croit détruit,
Fait un vœu, renonce à sa Dame,
Et songe au salut de son ame.
Personne ne venant, Eurilas s’endormit.
Avant qu’il fust jour on ouvrit ;
Philis l’avoit promis ; quand voicy de plus belle
Un flambeau, comble de tous maux.
Le Gascon, aprés ces travaux,
Se fust bien levé sans chandelle.
Sa perte étoit alors un poinct tout asseuré.
On approche du lit. Le pauvre homme éclairé
Prie Eurilas qu’il luy pardonne.
Je le veux, dit une personne
D’un ton de voix remply d’appas.
C’estoit Philis, qui d’Eurilas
Avoit tenu la place, et qui sans trop attendre
Tout en chemise s’alla rendre