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Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 2.djvu/125

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DEUXIESME PARTIE.

Eut beaucoup à souffrir, beaucoup à travailler ;
Changea huit fois de Chevalier.
Il ne faut pas pour cela qu’on l’accuse :
Ce n’estoit, aprés tout, que bonne intention,
Gratitude, ou compassion,
Crainte de pis, honneste excuse.
Elle n’en plut pas moins aux yeux de son Fiancé.
Veuve de huit Galants, il la prit pour pucelle,
Et dans son erreur par la Belle
Apparemment il fut laissé.
Qu’on y puisse estre pris[1], la chose est toute claire,
Mais aprés huit, c’est une estrange affaire :
Je me rapporte de cela
A quiconque a passé par là.
 
Zaïr, Soudan d’Alexandrie,
Ayma sa fille Alaciel
Un peu plus que sa propre vie :
Aussi ce qu’on se peut figurer sous le Ciel
De bon, de beau, de charmant et d’aymable,
D’accommodant, j’y mets encor ce poinct,
La rendoit d’autant estimable ;
En cela je n’augmente point.
 
Au bruit qui couroit d’elle en toutes ces Provinces,
Mamolin, Roy de Garbe, en devint amoureux.
Il la fit demander, et fut assez heureux
Pour l’emporter sur d’autres Princes.
La Belle aymoit déja, mais on n’en sçavoit rien :
Filles de Sang royal ne se declarent guere ;
Tout se passe en leur cœur ; cela les fasche bien,
Car elles sont de chair ainsi que les Bergeres.
Hispal, jeune Seigneur de la Cour du Soudan,
Bien fait, plein de merite, honneur de l’Alcoran,
Plaisoit fort à la Dame, et d’un commun martyre

  1. Les éditions originales portent toutes, mais à tort :
    Qu’on n’y puisse estre pris…