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Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 2.djvu/168

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CONTES ET NOUVELLES.


II. — LA MANDRAGORE.
Nouvelle tirée de Machiavel[1].


Au present Conte on verra la sottise
D’un Florentin. Il avoit femme prise,
Honneste et sage autant qu’il est besoin,
Jeune pourtant ; du reste toute belle,
Et n’eust-on crû de joüissance telle
Dans le païs, ny mesme encor plus loin.
Chacun l’aimoit, chacun la jugeoit digne
D’un autre époux : car, quant à celuy-cy,
Qu’on appelloit Nicia Calfucci,
Ce fut un sot, en son temps, trés-insigne.
Bien le monstra lors que bon gré, mal gré,
Il resolut d’estre pere appellé ;
Crût qu’il feroit beaucoup pour sa patrie,
S’il la pouvoit orner de Calfuccis.
Sainte ny Saint n’estoit en Paradis
Qui de ses vœux n’eust la teste étourdie.
Tous ne sçavoient où mettre ses presens.
Il consultoit Matrones, Charlatans,
Diseurs de mots, experts sur cette affaire :
Le tout en vain : car il ne pût tant faire
Que d’estre pere. Il estoit buté là,
Quand un jeune homme, aprés avoir en France
Etudié, s’en revint à Florence,
Aussi leurré qu’aucun de par delà,
Propre, galant, cherchant par tout fortune,
Bienfait de corps, bien-voulu de chacune :

  1. D’une comédie intitulée : Mandragola.