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Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 2.djvu/186

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CONTES ET NOUVELLES.

Soit pour la nuit, soit pour le jour.
Il luy procura donc les faveurs d’une Belle,
Qui d’une fille naturelle
Le fit Pere et mourut : le pauvre homme en pleura,
Se plaignit, gemit, soûpira,
Non comme qui perdroit sa femme :
Tel deuil n’est bien souvent que changement d’habitt,
Mais comme qui perdroit tous ses meilleurs amis,
Son plaisir, son cœur, et son ame.
La fille crust, se fit ; on pouvoit déja voir
Hausser et baisser son mouchoir.
Le temps coule ; on n’est pas si-tost à la bavette
Qu’on trotte, qu’on raisonne, on devient grandelette,
Puis grande tout à fait, et puis le servilteur.
Le Pere avec raison eut peur
Que sa fille, chassant de race,
Ne le previnst, et ne previnst encor,
Prestre, Notaire, Himen, accord ;
Choses qui d’ordinaire ostent toute la grace
Au present que l’on fait de soy.
La laisser sur sa bonne foy,
Ce n’estoit pas chose trop sûre.
Il vous mit donc la Creature
Dans un Couvent : là, cette Belle apprit
Ce qu’on apprend, à manier l’éguille.
Point de ces livres qu’une fille
Ne lit qu’avec danger, et qui gastent l’esprit :
Le langage d’amour estoit jargon pour elle.
On n’eust sû tirer de la Belle
Un seul mot que de sainteté.
En spiritualité
Elle auroit confondu le plus grand personnage.
Si l’une des Nonains la loüoit de beauté,
Mon Dieu, fi ! disoit-elle ; ah ! ma sœur, soyez sage :
Ne considerez point des traits qui periront ;
C’est terre que cela, les vers le mangeront.
Au reste, elle n’avoit au monde sa pareille
A manier un cannevas,