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Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 2.djvu/212

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CONTES ET NOUVELLES.

Méprisez-la, chassez-la, batez-la ;
Si vous pouvez, faites-luy pis encore ;
Elle est à vous. Alors le Jouvenceau :
Critiquer gens m’est, dit-il, fort nouveau ;
Ce n’est mon fait ; et toutefois Madame
Je vous diray tout net que ce discours
Me surprend fort, et que vous n’estes femme
Qui deust ainsi prévenir nos amours.
Outre le sexe, et quelque bienseance
Qu’il faut garder, vous vous estes fait tort.
À quel propos toute cette éloquence ?
Vostre beauté m’eust gagné sans effort,
Et de son chef. Je vous le dis encor,
Je n’aime point qu’on me fasse d’avance.
Ce propos fut à la pauvre Constanse
Un coup de foudre. Elle reprit pourtant :
J’ay merité ce mauvais traitement,
Mais ose-t-on vous dire sa pensée ?
Mon procedé ne me nuiroit pas tant,
Si ma beauté n’estoit point effacée.
C’est compliment ce que vous m’avez dit ;
J’en suis certaine, et lis dans votre esprit :
Mon peu d’appas n’a rien qui vous engage.
D’où me vient-il ? Je m’en rapporte à vous.
N’est-il pas vray que n’aguere, entre-nous,
À mes attraits chacun rendoit hommage ?
Ils sont esteints, ces dons si précieux :
L’amour que j’ay m’a causé ce dommage ;
Je ne suis plus assez belle à vos yeux,
Si je l’estois, je serois assez sage.
Nous parlerons tantost de ce poinct-là,
Dit le Galand ; il est tard, et voilà
Minuit qui sonne ; il faut que je me couche.
Constanse crut qu’elle auroit la moitié
D’un certain lit que d’un œil de pitié
Elle voyoit : mais d’en ouvrir la bouche,
Elle n’osa de crainte de refus.
Le Compagnon, feignant d’estre confus,