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Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 2.djvu/24

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CONTES ET NOUVELLES.

Et, comme tel, de luy sacrifier.
Là dessus il conta, sans en rien oublier,
Toute sa déconvenuë,
Puis vint à celle du Roy.
Je vous tiens, dit Astolphe, homme digne de foy ;
Mais la chose, pour estre creuë,
Merite bien d’estre veuë.
Menez-moy donc sur les lieux.
Cela fut fait, et de ses propres yeux
Astolphe vid des merveilles,
Comme il en entendit de ses propres oreilles.
L’énormité du fait le rendit si confus,
Que d’abord tous ses sens demeurerent perclus :
Il fut comme accablé de ce cruel outrage :
Mais bien-tost il le prit en homme de courage,
En galant homme, et pour le faire court,
En veritable homme de Cour.
Nos femmes, ce dit-il, nous en ont donné d’une,
Nous voicy lâchement trahis :
Vengeons-nous-en, et courons le païs,
Cherchons par tout nostre fortune.
Pour reussir dans ce dessein,
Nous changerons nos noms, je laisseray mon train,
Je me diray votre cousin
Et vous ne me rendrez aucune deference :
Nous en ferons l’amour avec plus d’asseurance,
Plus de plaisir, plus de commodité,
Que si j’étois suivy selon ma qualité.
Joconde approuva fort le dessein du voyage.
Il nous faut dans nostre équipage,
Continua le Prince, avoir un livre blanc,
Pour mettre les noms de celles
Qui ne seront pas rebelles,
Chacune selon son rang.
Je consens de perdre la vie,
Si, devant que sortir des confins d’Italie,
Tout nostre livre ne s’emplit,
Et si la plus severe à nos vœux ne se range :