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Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 2.djvu/306

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CONTES ET NOUVELLES.

La Prieure a sur son nez des lunettes,
Pour ne juger du cas legerement.
Tout à l’entour sont debout vingt Nonettes,
En un habit que vray-semblablement
N’avoient pas fait les tailleurs du Couvent.
Figurez-vous la question qu’au Sire
On donna lors : besoin n’est de le dire.
Touffes de lis, proportion du corps,
Secrets appas, enbonpoinct, et peau fine,
Fermes tetons, et semblables ressorts,
Eurent bien tost fait joüer la machine :
Elle eschapa, rompit le fil d’un coup,
Comme un coursier qui romproit son licou,
Et sauta droit au nez de la Prieure,
Faisant voler lunettes tout à l’heure
Jusqu’au plancher. Il s’en falut bien peu
Que l’on ne vist tomber la lunetiere.
Elle ne prit cet accident en jeu.
L’on tint Chapitre, et sur cette matiere
Fut raisonné long-temps dans le logis.
Le jeune loup fut aux vieilles brebis
Livré d’abord ; Elle vous l’empoignerent,
A certain arbre en leur cour l’attacherent,
Ayant le nez devers l’arbre tourné,
Le dos à l’air avec toute la suite,
Et cependant que la troupe maudite
Songe comment il sera guerdonné,
Que l’une va prendre dans les Cuisines
Tous les balays, et que l’autre s’en court
A l’Arsenal où sont les disciplines ;
Qu’une troisiesme enferme à double tour
Les Sœurs qui sont jeunes et pitoyables ;
Bref, que le sort, ami du marjeolet,
Ecarte ainsi toutes les détestables ;
Vient un Meusnier monté sur son mulet,
Garçon quarré, garçon couru des filles,
Bon Compagnon, et beau joüeur de quilles.
Oh ! oh ! dit-il, qu’est-ce là que je voy ?