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Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 2.djvu/342

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CONTES ET NOUVELLES.


V. — LES AVEUS INDISCRETS.
CONTE.


Paris sans pair n’avoit en son enceinte
Rien dont les yeux semblassent si ravis
Que la belle, aimable et jeune Aminte,
Fille à pourvoir, et des meilleurs partis.
Sa mere encor la tenoit sous son aîle ;
Son pere avoit du contant et du bien ;
Faites état qu’il ne luy manquoit rien.
Le beau Damon s’étant piqué pour elle,
Elle receut les offres de son cœur :
Il fit si bien l’esclave de la belle,
Qu’il en devint le maître et le vainqueur,
Bien entendu sous le nom d’hymenée ;
Pas ne voudrois qu’on le crût autrement.
L’an révolu, ce couple si charmant,
Toûjours d’accord, de plus en plus s’aimant
(Vous eussiez dit la premiere journée)
Se promettoit la vigne de l’Abbé,
Lors que Damon, sur ce propos tombé,
Dit à sa femme : Un poinct trouble mon ame ;
Je suis épris d’une si douce flâme,
Que je voudrois n’avoir aimé que vous,
Que mon cœur n’eût ressenty que vos coups,
Qu’il n’eût logé que vôtre seule image,
Digne, il est vray, de son premier hommage.
J’ay cependant éprouvé d’autres feux :
J’en dis ma coulpe, et j’en suis tout honteux.
Il m’en souvient, la Nymphe étoit gentille,
Au fonds d’un bois, l’Amour seul avec nous ;
Il fit si bien, si mal, me direz-vous,
Que de ce fait il me reste une fille.