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Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 2.djvu/411

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DE SAINT MALC.

Je suis dans les perils, mille maux m’environnent,
L esclavage, la crainte, un maistre menaçant ;
Et ce n’est pas encor le mal le plus pressant.
Tu m’as donné aide au fort de la tourmente
Une compagne sainte, il est vray, mais charmante ;
Son exemple est puissant ; ses yeux le sont aussi :
De conduire les miens, Seigneur, pren le souci.
Le Ciel combloit de dons cette humble modestie.
L’ame de nos Bergers, du peché garentie,
Qu’avons nous, disoient-ils, jusque-là merité ?
Nous te sommes, Seigneur, serviteurs inutiles.
Aide-nous, rends nos cœurs en vertus plus fertiles.
Fais-nous suivre la main qui nous a secourus.
Tu combatis pour nous, tu souffris, tu mourus ;
Nous vivons, nous passons nos jours dans l’esperance :
Nos délices seront le prix de ta soufrance :
Ne nous feras-tu point imiter ces travaux ?
Quand auras-tu, Seigneur, tes enfans pour rivaux ?
Si cette ambition te semble condamnable,
C’est l’amour qui la cause ; il rend tout pardonnable.
Ouy, Seigneur, nous t’aimons, nous l’osons protester :
Mais si l’effet ne suit, que sert de s’en vanter ?
Il faut porter ta Croix, gouster de ton Calice,
Couvrir son front de cendre, et son corps d’un cilice.
Tandis qu’ils se matoient par ces saintes rigueurs,
Leurs troupeaux prosperoient aussi bien que leurs cœurs.
L’Arabe en profitoit sans en sçavoir la cause.
Ce brigand, pour le gain employant toute chose,
Voulut les engager par de plus fort liens.
Il crut que de s’enfuir ayans mille moyens,
Ils se pourroit enfin soustraire à l’esclavage ;
Qu’il faloit joindre aux fers les nœuds du mariage ;
Leur amour luy seroit un gage suffisant.
Les doux fruits dont l’hymen leur feroit un présent
Augmenteroient ses biens, l’auroient encor pour maistre.
Humains, cruels humains, faut-il procurer l’estre.
Afin que ce bien-fait enchaisne un innocent ?