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Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 2.djvu/90

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CONTES ET NOUVELLES.

De Renaud d’Ast eussent son cœur touché.
De tous costez se trouvant assaillie,
Elle se rend aux semonces d’Amour.
Quand je feray, disoit-elle, ce tour,
Qui l’ira dire ? Il n’y va rien du nostre.
Si le Marquis est quelque peu trompé,
Il le merite, et doit l’avoir gagné,
Ou gagnera ; car c’est un bon Apostre.
Homme pour homme, et peché pour peché,
Autant me vaut celuy-cy que cet autre.
Renaud n’estoit si neuf qu’il ne vist bien
Que l’Oraison de Monsieur S. Julien
Feroit effet, et qu’il auroit bon giste.
Luy hors de table, on dessert au plus viste.
Les voila seuls, et pour te faire court,
En beau début. La Dame s’estoit mise
En un habit à donner de l’Amour.
La negligence, à mon gré si requise,
Pour cette fois fut sa Dame d’Atour.
Point de clinquant : jupe simple et modeste,
Ajustement moins superbe que leste ;
Un mouchoir noir de deux grands doigts trop court,
Sous ce mouchoir ne sçais quoy fait au tour :
Par là Renaud s’imagina le reste.
Mot n’en diray ; mais je n’obmettray point
Qu’elle estoit jeune, agreable, et touchante,
Blanche sur tout, et de taille avenante,
Trop ny trop peu de chair et d’embonpoint.
A cet objet qui n’eust eu l’ame émeuë !
Qui n’eust aymé ! qui n’eust eu des desirs !
Un Philosophe, un marbre, une statuë
Auroient senty comme nous ces plaisirs.
Elle commence à parler la premiere,
Et fait si bien que Renaud s’enhardit.
Il ne sçavoit comme entrer en matiere ;
Mais pour l’ayder la Marchande luy dit :
Vous rappellez en moy la souvenance
D’un qui s’est veu mon unique soucy