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Page:La Harpe - Abrégé de l’histoire générale des voyages, tome 14.djvu/201

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des choses divines et humaines sont également ridicules. Si l’on y joint l’ardeur du climat, qui leur brûle souvent le cerveau, ajoute Coréal, on dira d’eux, sans injustice, qu’ils n’ont presque pas le sens commun. Il leur est défendu d’avoir des livres, et dans toute la Nouvelle-Espagne on en voit très-peu d’autres que des heures, des missels et des bréviaires[1]. Un créole qui meurt croit son âme en sûreté lorsqu’il a laissé de grosses sommes à l’Église. Ses créanciers et ses parens sont souvent oubliés, et la plus grande partie des biens passe toujours aux couvens. Enfin le désordre est si général, et ses racines, qui sont la sensualité, l’avarice et l’ignorance, ont acquis tant de force depuis deux siècles, que, tout le pouvoir des hommes n’y pouvant apporter de remède, et la nature même du mal ne permettant point d’en espérer du ciel, il ne faut pas douter que les affaires des Espagnols dans cette grande partie de leurs établissemens ne soient menacées de leur ruine.

» Entre les raisons de cette extrême décadence il faut aussi compter la haine qui subsiste depuis long-temps entre les Espagnols venus de l’Europe et les créoles ; elle vient

  1. Le hasard, dit Coreal, fit tomber un jour les Métamorphoses d’Ovide entre les mains d’un créole. Il remit ce livre à un religieux qui ne l’entendait pas mieux, et qui fit croire aux habitans de la ville que c’était une Bible anglaise. Sa preuve était les figures de chaque métamorphose, qu’il leur montrait en disant : Voilà comme ces chiens adorent le diable qui les change en bêtes.