Aller au contenu

Page:La Harpe - Abrégé de l’histoire générale des voyages, tome 2.djvu/205

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jusqu’à se dépouiller de leurs habits pour les donner à ces flatteurs ; mais un guiriot qui n’obtiendrait rien de ceux qu’il a loués ne manquerait pas de changer ses louanges en satires, et d’aller publier dans les villages tout ce qu’il peut inventer d’ignominieux pour ceux qui ont trompé ses espérances ; ce qui passe pour le dernier affront parmi les Nègres. On regarde comme un honneur extraordinaire d’être loué par le guiriot du roi. C’est le poëte lauréat du pays. On ne croit pas le récompenser trop en lui donnant deux ou trois veaux, et quelquefois la moitié de ce qu’on possède. Il paraît que chez les Nègres on doit ambitionner beaucoup l’état de guiriot.

Les chansons et les discours ordinaires des guiriots consistent à répéter cent fois : Il est grand homme, il est grand seigneur, il est riche, il est puissant, il est généreux, il a donne du sangara, nom qu’ils donnent a l’eau-de-vie ; et d’autres lieux communs de la même nature, avec des grimaces et des cris insupportables. Entre plusieurs expressions de cette sorte, qu’un musicien nègre adressait à quelques Français, il leur dit qu’ils étaient les esclaves de la tête du roi ; et ce compliment fut regardé dans le pays comme un trait merveilleux. Quand la vanité est grossière, le goût n’est pas fort délicat ; et ces guiriots, sans être bien fins, ont pu s’apercevoir que, pour la plupart des hommes, il valait mieux répéter la louange que la varier.