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Page:La Harpe - Abrégé de l’histoire générale des voyages, tome 20.djvu/344

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Groënlandais ont une richesse de langage qui montre la disette des idées : ils emploient un mot non-seulement pour chaque objet, mais pour chaque modification du même objet. Aussi n’ont-ils pas de termes pour exprimer toutes les idées abstraites ou morales de religion, de science ou de société. S’ils avaient autant d’idées que nous, on sent combien une langue qui rendrait ces idées par autant d’expressions différentes nuirait aux progrès de l’esprit humain, en chargeant la mémoire aux dépens des autres facultés de l’entendement. Mais ce qui prouve, d’un autre côté, la pénurie des termes dans la langue des Groënlandais, c’est qu’on prétend qu’ils expriment beaucoup de choses en peu de mots, ce qui ne se peut faire qu’en supprimant les signes de certaines idées intermédiaires d’un discours. Les peuples sauvages sont d’autant plus accoutumés à cette espèce d’abréviation, que les gestes chez eux font la moitié des frais du langage, et que d’ailleurs ils n’ont guère à peindre que des rapports et des circonstances sensibles dans les idées qu’ils se communiquent. Ainsi, quand on dit qu’ils représentent toutes les modifications d’un objet par autant de mots, on ne parle sans doute que des objets physiques et de leurs propriétés les plus frappantes et les plus fixes. En effet, il est bien difficile de créer une langue riche dans un pays pauvre, et de varier les couleurs et les traits d’une perspective uniforme. Du reste, comme il est peut-être douteux si les