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Page:La Harpe - Abrégé de l’histoire générale des voyages, tome 5.djvu/230

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loupe pour rassembler l’eau et la faire couler dans deux petits tonneaux, les seuls qu’on eût emportés. On la tenait en réserve pour les jours qui se passaient sans pluie. Je coupai un bout de soulier qui servait de tasse pour puiser. Cette extrémité n’empêchait point qu’on ne me pressât de prendre abondamment ce qui convenait à mes besoins, parce que tout le monde, me disait-on, avait besoin de mon secours, et que sur un si grand nombre de gens la diminution serait peu sensible. J’étais bien aise de leur voir pour moi ces sentimens ; mais je ne voulais rien prendre de plus que les autres. Le canot s’efforçait de nous suivre. Cependant comme nous faisions meilleure route, et qu’il n’y avait personne qui entendit la navigation, lorsqu’il s’approchait de nous, ou que quelqu’un trouvait le moyen de passer à notre bord, tous les autres nous priaient instamment de les recevoir, parce qu’ils appréhendaient de s’écarter ou d’être séparés de la chaloupe par quelque fortune de mer. Nos gens s’y opposaient fortement, et me représentaient que ce serait nous exposer à périr tous.

» Enfin nous arrivâmes bientôt au comble de notre misère. Le biscuit nous manqua tout-à-fait, et nous ne découvrîmes point les terres. J’employai tous mes efforts pour persuader aux plus impatiens que nous n’en pouvions être bien loin ; mais je ne pus les soutenir long-temps dans cette espérance. Ils commencèrent à murmurer contre moi-même, qui