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Page:La Harpe - Abrégé de l’histoire générale des voyages, tome 5.djvu/247

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seule bordée, avec une facilité surprenante à repasser le banc et les brisans qui nous avaient causé tant d’embarras à l’entrée de la rivière. Nos ennemis, s’imaginant que nous y ferions naufrage, s’étaient avancés jusqu’à la dernière pointe du cap pour nous y attendre et nous massacrer ; mais le vent continua de nous être favorable, et l’avant de la chaloupe, qui était fort haut, coupa les lames avec ce secours.

» À peine étions-nous hors de danger qu’on s’aperçut que le brave boulanger qui nous avait si bien défendus avait été blessé d’une arme empoisonnée. Sa blessure était au-dessus du nombril. Les parties d’alentour étaient déjà d’un noir livide. Je lui coupai les chairs jusqu’au vif pour arrêter le progrès du venin, mais la douleur que je lui causai fut inutile : il tomba mort à nos yeux : nous le jetâmes dans les flots. En faisant la revue de nos gens, nous trouvâmes qu’il en manquait seize, dont onze avaient été tués au rivage. Le sort des quatre malheureux qui étaient restés dans le village fut amèrement déploré. Rien n’était si cruel que la nécessité où nous étions de les abandonner. Cependant il y a beaucoup d’apparence qu’ils n’y purent être sensibles, et que c’était déjà fait de leur vie.

« Nous gouvernâmes vent arrière, en rangeant la côte. Le reste de nos provisions consistait en huit poules et un peu de riz. Elles furent distribuées entre cinquante hommes que nous étions encore ; mais la faim commençant