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Page:La Nature, 1873.djvu/111

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LA NATURE.

navires l’ont sans doute importée. Cette Forficule passe l’hiver, surtout les femelles fécondées, qui pondent en avril des œufs dont les petites larves sortiront au mois de mai. Si au mois de novembre on bat, dans les forêts, les branches dépouillées de feuilles, au-dessus d’un parapluie renversé, on y fera souvent tomber cette Forficule engourdie. C’est là le moyen qu’emploient les entomologistes pour se procurer en hiver une foule d’insectes dont personne ne soupçonne l’existence au milieu des frimas. Au printemps et en été, outre ses refuges sous les écorces et les pierres, on la trouve dans beaucoup de fleurs, comme les oreilles d’ours, les roses trémières, les grands soleils, etc.

Elle aime aussi à se réfugier dans le chardon à foulon, dans les feuilles roulées en cornet par divers insectes, et où elle échappe à l’importune lumière du jour. Beaucoup de jardiniers mettent le long des plantes des cornets de papier où se gîtent les Forficules, qu’il ne reste plus qu’à brûler.

Elles sont friandes de graines de melon au delà de tout ce qu’on peut imaginer, et souvent les maraîchers sont obligés d’étaler ces graines en pleine lumière pour les soustraire aux ravages. L’insecte devient vraiment funeste en automne par l’avidité avec laquelle il recherche les fruits et surtout les pommes les plus parfumées et les plus douces (voir la figure). Nous conseillons, pour préserver le fruitier, de mettre sous un pot renversé certains fruits qui serviront d’appât piège, puisque le Perce-oreille les choisira de prédilection en trouvant réunis et le festin et l’obscurité propice. Cette espèce peut être parfois fort nuisible ; ainsi M. Westwood dit que ces Forficules arrivent par intervalles en grande multitude, et il cite un cas où en Angleterre elles dévastèrent non-seulement les fleurs et les fruits de la région, mais des champs couverts de choux.

On ne doit pas s’étonner si depuis longtemps les horticulteurs ont cherché à préserver les jardins et les vergers contre cet ennemi.

Ce sont les mœurs des insectes qui nous procurent invariablement les procédés de destruction.

Voici à cet égard des conseils et des recettes déjà un peu anciens. « Le moyen de détruire le Perce-oreille tient de la connaissance de ses habitudes. Il évite toujours le soleil et la grande lumière, se retire sous les feuilles, dans les fissures des écorces d’arbre, sous les plantes rampantes, sous les pierres. Il suffit donc, pour en rassembler une grande quantité, de placer çà et là, dans les endroits exposés à ses dégâts tout ce qui peut lui procurer un abri ; des poignées de feuilles, des petites bottes d’herbages, de paille un peu humectée, telle que celle que l’on prépare pour attacher la vigne, des bâtons de sureau creux, des tiges de soleil également creuses, des paquets de brindilles de toutes espèces d’arbres, de vieux balais, des cornes et ongles de divers animaux, des chiffons d’étoffes, des torchons ou serviettes, etc.

Quand on a réuni un grand nombre de Perce-oreilles, on les écrase ou on les brûle. Il ne faut pas se contenter de les jeter dans l’eau, car ils nagent très-bien et s’échappent ; les poules les avalent avec avidité, (Annales de l’agriculture française an IX, t. VIII, p. 106 107.) »

Il est continuel de voir se produire dans les Forficules tous les modes de variations de l’appareil alaire. Chez les Aptérygides, les élytres subsistent bien développées, mais sans ailes en dessous ou seulement avec des rudiments. Mentionnons seulement dans ce type une espèce qui a été nommée albipenne parce que son corselet et ses élytres sont d’un jaunâtre pale, et aussi pédestre, puisque privée d’ailes elle ne peut que marcher. Sa longueur varie de 6 à 9 millimètres ; elle est donc environ moitié plus petite que la Forficule auriculaire et surtout beaucoup plus étroite. Elle se rencontre dans plusieurs régions de l’Europe, la Grèce, l’Italie, la Suisse, l’Allemagne, en été et en automne, dans les buissons, sur les ormes, les aulnes, les chardons, etc. Les amateurs peuvent la chercher en octobre, tout près de Paris, sur les collines arides qui entourent Sèvres. On l’a prise en Angleterre au mois de juin, près d’Ashford, dans le comté de Kent. Elle ne paraît pas avoir été trouvée en Russie ni en Suède.

Les touristes qui aiment l’histoire naturelle feront bien, dans leurs explorations de nos montagnes, de porter leur attention sur un dernier type très-intéressant de Perce-oreilles, les Chélidoures. Ici l’absence du vol est presque complète. Les élytres ne sont plus représentées que par deux écailles ovales rejetées sur le côté et laissant entre elles à découvert ce qu’on nomme un écusson, c’est-à-dire une portion visible du second segment dorsal du thorax qui porte la première paire d’ailes chez les insectes. Les ailes sont toujours recouvertes d’un fourreau qui forme un demi—anneau complet laissant voir en arrière un peu du dernier segment thoracique. Le caractère le plus saillant de ces insectes, c’est que leur abdomen s’élargit graduellement d’avant en arrière de manière à simuler un trapèze.

Les espèces les plus remarquables de Chélidoures ont été découvertes par de Lafresnaye, amateur célèbre d’oiseaux, d’insectes, de coquilles. L’une d’elles est la Chelidoure dilatée (no 3 de notre gravure, sujet femelle), nommée encore aptère et des Pyrénées. La tête un peu triangulaire est forte, d’un fauve rougeâtre, portant des yeux noirs très-petits. Le corps et la pince sont d’un brun marron, avec les antennes de 13 articles et les pattes fauves. L’insecte atteint en longueur 12 à 14 millimètres, sans compter la pince à branches nécessairement très-écartées à la base d’après l’élargissement de l’abdomen et qui a 4 millimètres et plus. Cet insecte paraît exclusif aux Pyrénées. L’espèce ou race très-voisine et un peu plus petite par laquelle nous terminerons cette étude est la Chelidoure simple, aussi des Pyrénées, mais qu’on trouve en outre dans les Alpes, au mont Saint-Bernard en août et au mont Rose[1]. Toutes

  1. Nous en avons dit bien assez pour ceux qui verront seulement dans les Perce-oreilles l’objet d’une curiosité scienti-