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Page:La Nature, 1873.djvu/281

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N° 18. — 4 OCTOBRE 1873.
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LA NATURE.

LA NITRO-GLYCÉRINE ET LA DYNAMITE

Depuis l’époque de l’invention de la poudre à canon jusqu’à notre siècle, l’histoire des substances explosibles ne compte pas de progrès saillants. Mais depuis un petit nombre d’années, elle s’est signalée par des découvertes nouvelles d’une importance considérable. C’est surtout en 1846, lorsque M. Schœnbein produisit pour la première fois le coton-poudre, que l’art de préparer les matières fulminantes vit s’ouvrir de nouveaux horizons. M. Schœnbein s’était borné à signaler les effets balistiques du coton-poudre, sans indiquer son mode de préparation. La nouvelle substance étonna singulièrement le monde scientifique. Ce coton, qui ne diffère en aucune façon apparente de la ouate ordinaire, qui brûle comme la poudre au contact d’une flamme, causa une véritable stupéfaction parmi les chimistes. Grâce à de persévérantes recherches, on ne tarda pas à découvrir le mode de préparation de la nouvelle substance ; on l’obtint par l’action de l’acide nitrique sur les matières cellulosiques telles que coton, papier, etc.[1]. M. Schœnbein se décida alors à publier son procédé de préparation, qui consistait à faire agir sur le coton cardé, un mélange d’acide nitrique et d’acide sulfurique.

Emploi de la dynamite en temps de guerre. — Sautage de palissades, exécuté par l’intermédiaire d’un fil électrique.

Peu de temps après, en 1847, M. A. Sobrero eut l’idée d’étudier l’action spéciale de l’acide nitrique sur d’autres substances organiques, sur la glycérine notamment, qui s’obtient, comme on le sait, dans la saponification des corps gras. La glycérine, ce principe doux des huiles, comme l’appelait Scheele, cette matière inoffensive, à la saveur douce et sucrée, se transforme sous l’action de l’acide nitrique en un liquide détonant, terrible, le plus énergique des produits explosifs connus. « La nitro-glycérine, suivant l’opinion de M. Berthelot, disloque les montagnes ; elle déchire et brise le fer, elle projette des masses gigantesques. »

Mais cette nitro-glycérine découverte par Sobrero resta longtemps sans application ; on ne considéra guère cette substance que comme un produit dangereux, et pendant dix-sept ans elle demeura à l’état de curiosité de laboratoire. C’est seulement en 1864, qu’un ingénieur suédois, M. Nobel, commença à l’utiliser dans l’industrie et à mettre à profit dans le tirage des mines et des roches son énorme force explosive.

On ne tarda pas à reconnaître en Amérique et en Europe que l’emploi de la nitro-glycérine offrait, dans le sautage des roches, une économie considérable sur la poudre de mine utilisée auparavant. Mais la difficulté de régler les conditions de sa détonation causa successivement des accidents effroyables. On cita des exemples nombreux d’explosion spontanée de nitro-glycérine, bien faits pour terrifier ceux qui étaient disposés à utiliser la nouvelle matière. Les explosions survenues à Aspinwall, à San Francisco, à Sidney, à Hirschberg en Silésie, alarmèrent à juste titre les gouvernements des divers pays civilisés ; elles furent en effet si soudaines, si effroyables, que jamais semblables sinistres ne s’étaient signalés dans les annales de l’industrie. Le lecteur va en juger par quelques faits que nous croyons intéressant de reproduire, d’après un mémoire lu à la Société des ingénieurs de Londres.

En 1866, le steamer l’Européen débarquait sa cargaison le long du warf de la compagnie d’Aspinwall. Tout à coup une explosion formidable se fait entendre. Le pont, les agrès et les flancs du navire volent en éclats et sont projetés au loin. Quinze personnes sont littéralement mises en pièces par la détonation. L’Européen avait à son bord plusieurs caisses de nitro-glycérine, qui avaient fait explosion au moment où des porteurs les avaient trop brusquement maniées. Quelques jours après, le steamer le Pacifique débarquait à San Francisco deux barils de nitro-glycérine. À peine ces barils furent-ils portés en ville, qu’ils éclatèrent spontanément. La détonation fit plusieurs victimes ; elle se

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  1. L’action de l’acide nitrique sur la matière cellulosique peut s’expliquer par la réaction suivante :
    2(C12H10O10) + 5(AzO3HO) = 1OHO + C24H15O155AzO5
    Matière cellulosique + Acide nitrique = Eau + Coton poudre ou pyroxyline
    Déjà, en 1832, le chimiste Braconnot avait découvert la xyloïdine, matière qui brûle facilement et qui s’obtient par l’action de l’acide nitrique sur l’amidon.